mercredi 3 novembre 2021

Rennes-le-Château, un texte inédit de Alain Féral

Le texte ci-dessous est un inédit d'Alain Féral (1942-2013 - Poète, musicien, chanteur, écrivain, dessinateur, peintre...). Je remercie vivement Mickaël Féral pour l'autorisation de publication. 

Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation.

Avant toute chose, rappelons qu'Alain Féral fut surtout connu du grand public dans les années 1960 et 1970, alors qu'il était auteur-compositeur-interprète pour son groupe Les enfants terribles. Deux albums furent édités, C'est la vie  et On l'appelle Madame, entre autres 45 tours avec le groupe ou en solo.

Dans les années 1980, Alain installe son atelier d'artiste à Rennes-le-Château dans l'Aude. C'est là que je l'ai connu à mon arrivée en mars 1994. Quelques années plus tard, à la demande de la commune de Rennes-le-Château, Alain Féral travaille sur la restauration du Calvaire et de la Vierge qui lui fait face, dans le jardin de l'église. C'est le sujet du texte ci-dessous, qu'il rédigea en 1999 et dont il m'offrit un exemplaire.

 

LE CHRIST DU CALVAIRE

(LETTRE OUVERTE AU MAIRE DE RENNES-LE-CHÂTEAU (1))

("Où je vais dire pourquoi j'ai fait d'un Christ - précédemment passé, en quinze ans, de la couleur Verte à la couleur Bleu-Blanc-Rouge, après une période de Brun-Rouille, pour finir dernièrement au Blanc-Plâtré-Marronné - ...où je vais dire pourquoi j'ai fait, de ce Christ, le Christ que j'ai fait")                                            

    Alain Féral. Rennes-le-Château. Juillet 99

 

"...Voilà qu'un soir, j'ai découvert, non pas que le Sous-Préfet était poète, mais que le Maire de Rennes-le-Château - qui plus est, serait militaire ; qui plus est, serait Colonel ; enfin qui plus est... je passe ! - que le Maire de Rennes-le-Château pouvait aussi prêter une oreille religieuse, et quasi-Souverainement Pontificale, à l'une de ses ouailles, s'il la soupçonnait d'avoir ne serait-ce qu'une once de talent, d'être pure et sensible.

L'ouaille, c'était moi.

 

- "Hé ! Michel-Ange... Et lui, le Soleil dont nous parlons, comment le verrais-tu ?" me demanda le Maire avec la voix du Pape.

 

Nous étions assis sur "le banc", dans la Grotte de Bérenger Saunière nouvellement reconstituée. Nous regardions le Calvaire, dressé devant nous, contre la nuit tombante.

La discussion ayant porté jusque là sur des sujets dangereusement métaphysiques et artistiques, j'enchaînais :

 

- "Je le verrais tout comme Bérenger Saunière, lorsqu'il l'a érigé sur la Croix de son Calvaire, il y a un siècle, après 1896 années de Tradition Chrétienne. Mais, je le ferais comme il est, au cours d'une course qui a un siècle de plus, Monsieur le Pape. Au regard d'un Christ qui a, maintenant, 2000 ans d'âge. Un Soleil tout rempli, lui aussi, de notre propre et fantastique expérience imagée.

Je verrais donc ce soleil là - jadis en forme de roue de bicyclette, excuse-moi du peu, Monsieur le Pape, mais c'était aussi le "moderne-style" de l'époque - avec une image de cent de plus... Pour qu'il parle encore aux hommes d'hier, et qu'il soit entendu, aussi, des hommes d'aujourd'hui.

Un soleil toujours perçu par l'homme comme le soleil traditionnel de la Résurrection. Qui s'éteint, le soir, sous ses draperies d'ors, pour renaître au matin, de tout l'argent de l'aube. Mais qui tournoie aussi dans l'espace, éclaté de pierres propres à chacune des planètes vers lesquelles nous courons déjà, de l'autre côté du ciel, accrocher nos Ancres et nos Croix, depuis un demi lustre.

 Et je te ferais donc un grand soleil de flammes, tout caboché de pierres, cuirassé d'or et rayonné d'argent. Tout en lumière d'aujourd'hui. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent, pas à pas, dans l'espace, sans lumière identifiée."

 

- "Et le Christ, alors, comment le verrais-tu, Maestro ?" - me demanda le Maire avec la voix du Colonel.

 

- "Je le verrais comme un cristal. Un cristal perpétuellement changeant, nuit et jour, sous la voûte céleste, Monsieur le Colonel. Tantôt miroir, sous les nuages de nacre. Tantôt ruisseau veiné de mercure, sous les eaux de la pluie. Et tantôt transparent d'ombres et de terre, et de toutes les couleurs dont se colorent le ciel et la terre au temps des lumières et de l'obscurité.

Pour qu'à 20 h 30, selon l'exemple et de savants calculs, d'entre l'espace troué qui traverse la cour vide du Presbytère, le dernier rayon pivotant du soleil que tu vois, à son coucher, aille l'embraser de feu, lui aussi, du buste auréolé jusqu'à la face.

Pour que, la nuit l'ayant chuté, et couvert d'ombre, jusqu'à l'étouffe, Il renaisse encore, et toujours, au souffle du matin, plus transparent et plus radieux encore que la lumière diffuse de l'aube dans son dos.

Pour que, du miroir de Son corps, à chaque étape des heures, des jours et des saisons que traversent les hommes de la terre et des demeures de l'autre côté du ciel, leur soient révélé le lent cours fluide et les couleurs des temps Christiques sans cesse ressuscités.

Et je te ferais donc un Christ tout en miroir du temps, comme un cristal. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent, pas à pas, dans l'espace, sans lumière encore identifiée."

 

- "Et la Croix, comment la verrais-tu, l'Artiste ?" - me demanda le Maire avec enfin la voix du Maire.

Avant / Après : le Calvaire tel que l'a érigé Bérenger Saunière à la fin du XIXe siècle (2) et après la restauration de Alain Féral (état actuel)


 

 

- "Je la verrais à l'heure du soleil à son Zénith, Monsieur le Maire. Je t'en truquerais, par les façons de l'Art, toutes les ombres et toutes les lumières, de manière à ce que tout être vivant qui tourne autour d'elle et de ses quatre balustres - comme tourne, autour de son axe, l'ombre principale du temps - garde, à quelque heure du jour et de la nuit que ce soit, la même Connaissance :

La Connaissance qu'il y a ici, dans tout l'Espace-temps de chaque être vivant de la terre, comme dans tout l'Espace-temps des différents autres côtés du ciel, un lieu et un instant figés où la Lumière règne dans son plein éclat maximum.

Et je te ferais donc la Croix, comme le pieu d'un cadran qui marquerait éternellement la place du Zénith, au Midi de ce lieu et de cet instant qui est en soi. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent pas à pas, dans l'espace, sans lumière encore identifiée."

 

Nous nous taisions.

Le Christ était là, perché, tout Marron-Blanc-Plâtré. La nuit avait tellement baissé, de l'autre côté de la cour du Presbytère, qu'on ne se voyait plus, assis sur "le banc", dans la Grotte, nous quatre : le Maire, le Colonel, le Pape et moi...

Ce fut un long moment de silence. 

Je ne les ai pas vu se lever. Mais j'ai bien entendu, quelques instants après, quelqu'un qui me disait, d'une voix forte, en s'éloignant derrière l'obscurité de l'arche du portail :

 

- "Hé bien, fais-nous tout ça, l'Artiste. Et bon courage. Tu as quinze jours." 

C'était la voix du Maire.

 

- "Tu vas nous faire tout ça. Compris, Maestro ? 5 sur 5,?... Dix jours ! Pas un de plus !"

C'était la voix du Colonel.

 

- "Tu peux bien nous faire ça, Michel-Ange,... rien qu'en trois jours. Amen."

C'était la voix du Pape... bien sûr.

 

J'étais abasourdi. Je n'ai pas répondu...

Mais, le pire, c'est que je les ai écouté tous les trois... et que je l'ai fait.

Le "Soleil" derrière la Croix, par Alain Féral. Un soleil bien différent de celui qui avait été conçu pour Bérenger Saunière

 

 

Et je tiens à remercier ici :

 

- Alain Louvel, l'assistant de cette œuvre qui a, entre autres problèmes à régler de ma part, su palier à mes angoisses vertigineuses, en se préoccupant tout spécialement de la couverture de la Croix, perché sur une échelle de 6 mètres dont je n'aurais pu escalader qu'avec peine les deux premiers échelons.

- Jacques-Bernard-Henri Lebail (3), mon complice, métallurgiste du feu et de la lampe, qui, contrairement à Icare, s'est habilement approché du soleil, pour lui en découper le cœur dont j'avais tracé les nœuds et pour en démêler, à coups de tronçonneuse, toutes les grappes d'atomes et de taches solaires dont je l'avais couvert. Il en est revenu vivant ! Je lui en suis reconnaissant.

- La participation d'une partie du village et de ses environs aux basses œuvres - "Descente du Christ" - et hautes œuvres - "Élévation et Reboulonnage du Christ sur la Croix".

Qu'ils en soient tous gratifiés dans leurs soifs à venir et dans leurs espérances présentes.

Quant à tous ceux qui ont tenu à ce que leur participation plus que généreuse demeure discrète,

...je les serre dans mon cœur, jusqu'aux temps futurs. 

 

Ces quelques pages inédites éclairent d'un jour nouveau l’œuvre de l'Artiste à Rennes-le-Château ainsi que sa brillante réinterprétation du Calvaire, érigé plus d'un siècle auparavant par le prêtre Bérenger Saunière, curé du village. 

Ce texte en soi est indissociable de l’œuvre graphique et sculpturale formée par l'ensemble Soleil-Christ-Croix et restaurée / refaçonnée par Alain  Féral à l'aube du XXIe siècle ; il était pourtant jusqu'alors totalement inconnu du public. 

Je remercie encore Mickaël Féral d'avoir accepté sa publication ici ! 

 

(1) Le maire de Rennes-le-Château était alors Jean-François Lhuilier.

(2) Carte postale ancienne, 1908 environ. Merci à Michel Vallet pour le scan.

(3) Jacques Lebail, dit "Jacky", est décédé en 2021.


 

6 commentaires:

  1. Réponses
    1. Ce document était dans mes "cartons" depuis longtemps. Alain me l'avait offert il y a au moins 15 ans.

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  2. Merci Tony, je ne me souviens pas avoir eu connaissance de cette lettre.

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  3. Bonjour Toni, belle retrouvaille.
    Merci pour information sur RLC.
    Amitiés.

    Anna Maria

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