jeudi 21 mai 2020

Alphée Dubois et "Les Bergers d'Arcadie"

Alphée Dubois (1831-1905) est un graveur et médailleur, également connu des philatélistes pour avoir dessiné des timbres-poste pour les colonies françaises.

Parmi ses créations, une médaille en particulier attire l'attention par le sujet abordé et différents éléments entourant et renforçant sa symbolique. Particulière à plus d'un titre, puisque premièrement elle représente avec une force de détails incroyable une oeuvre très connue du peintre Nicolas Poussin, à savoir Les Bergers d'Arcadie dont le tableau original est exposé au Louvre à Paris. Selon la notice du Musée d'Orsay qui en possède un exemplaire, cette médaille uniface (1) aurait été gravée en 1872. Son diamètre donné est de 6 cm tandis que celle faisant partie de nos collections est de 7 cm. La tranche porte un poinçon (corne d'abondance selon le Musée d'Orsay, difficilement identifiable sur notre exemplaire) et la mention "Bronze" que l'on retrouve aussi sur la nôtre. La gravure y est si finement réalisée que l'on peut même lire la fameuse sentence Et in Arcadia ego derrière le bras du berger accroupi.

La médaille de nos collections. 1872 ?

Détail

 Détail

 
Seconde particularité, une autre devise latine que l'on ne retrouve associée aux Bergers d'Arcadie qu'ici est inscrite en toutes lettres au bas de la médaille : Et ament meminisse periti. Tel le Et in Arcadia ego, cette phrase s'applique parfaitement à la mort, mais elle porte également en elle sa part de mystère : "Que ceux qui savent se souviennent". 

Avant d'aborder la dernière particularité liée à cette oeuvre, apprenons-en plus sur ce bel objet à travers d'autres exemplaires retrouvés :

- Le 8 décembre 2014, la maison de vente aux enchères Collin du Bocage proposait un exemplaire de cette médaille à la vente. Décrite également en bronze et avec une corne d'abondance en poinçon, d'un diamètre de 70,5 mm (donc proche de la nôtre), elle pesait 166,8 g. (la nôtre pesant 144,2 g.). La maison Collin du Bocage précise que cette médaille a été frappée pour le prix de peinture du Salon des Artistes, ce qui est en effet tout à fait probable.

- Par ailleurs, nos collections personnelles abritent un autre exemplaire de l'oeuvre. Il s'agit vraisemblablement d'un retirage plus récent, et surtout plus petit puisque son diamètre est de 5 cm. Réalisé par la Monnaie de Paris, il est en bronze argenté, avec là encore la mention "Bronze" sur la tranche et un poinçon non identifiable pour le moment. Contactés, les services de la Monnaie de Paris n'ont malheureusement pas pu nous renseigner sur une datation quant à ce tirage..

Tirage ultérieur frappé par la Monnaie de Paris. Datation inconnue

 Détail de l'exemplaire de la Monnaie de Paris

Venons-en à la dernière particularité, car elle n'est pas des moindres : Alphée Dubois attachait tant d'importance à cette oeuvre qu'il l'a faite réaliser en grand format afin d'orner son tombeau. Là aussi, la devise Et ament meminisse periti accompagne Les Bergers d'Arcadie. 

 Poinçon et mention "Bronze" sur la médaille principale

Poinçon et mention "Bronze" sur l'exemplaire de la Monnaie de Paris

Cette médaille, déclinée sous différentes formes et formats, marque le couronnement artistique de toute l'oeuvre d'Alphée Dubois de par son importance et son omniprésence au fil du temps. Parfaite réalisation, l'oeuvre renferme en elle un profond mystère que seule la pensée de l'artiste serait sans doute à même d'éclairer. À moins que, peut-être, héritiers du courant de pensée arcadien né au tout début du XVIe siècle, certains savent et se souviennent...

(1) Toutefois la notice du Musée d'Orsay indique que le nombre 54 est répété cinq fois, à l'envers, au revers de la médaille. Le recto n'est donc pas vierge en ce qui concerne leur exemplaire, contrairement aux deux médailles analogues de nos collections. 

 Les deux médailles de nos collections côte à côte






dimanche 3 mai 2020

Derrière la vitre

En 2007, je lançais mon premier blog. Portant d'abord le nom de Lambeaux d'une civilisation décadente, il fut renommé par la suite Nécropolis - Lambeaux d'humanité. À l'image de ces mots, le thème en était très noir et l'écrit sombrait invariablement dans un pessimisme profond. Seuls survivants de ce temps, quelques textes et la photo mise en scène ci-dessous (véritable image du blog de l'époque).




Parmi les écrits de Nécropolis, Derrière la vitre est un texte des plus défaitistes quant à notre avenir face à ce que l'on appelait il n'y a même pas vingt ans les "nouvelles technologies", et qui font aujourd'hui partie de notre quotidien comme si elles avaient toujours été présentes aux côtés de l'homme, depuis les temps les plus reculés... Mais au final, n'y aurait-il pas un fond de vérité dans cette dernière pensée ? Tout ce que l'humanité vit aujourd'hui de "progrès" - et tout ce qu'elle vivra par la suite -, n'était-il pas déjà présent en germes chez l'homme de Cro Magnon ? Dans cette étincelle d'intelligence jaillissant de la frappe de deux silex ?... Voyage dans la démence profonde du monde virtuel : Derrière la vitre...

Y a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Quelqu’un pour répondre à nos attentes, à nos espoirs, à nos cris, quelqu’un, quelqu’un doté d’une intelligence, un être vivant, un humain, un semblable, semblable autre que machines, semblable à ce que je suis : doté d'une peau, d'un corps, de viscères, d'un cerveau ? Une autre intelligence que moi, mais semblable à moi, là, juste derrière la vitre, juste derrière la vitre? Y a-t-il quelqu’un ?

Depuis combien d’années déjà nous enfermons-nous face à cette paroi de verre ?  La toile fait tant partie de notre quotidien maintenant, qu’elle semble avoir toujours été là. Pourtant, elle a pénétré nos foyers voici seulement un peu plus de dix ans. Ce n’est pas vieux mais qui, après y avoir goûté, pourrait depuis lors s’en séparer ?

La toile tisse ses liens et le lien à l’humain s’en trouve renforcé ; en premier lieu additif de notre quotidien, elle est ensuite devenu omniprésente et addictive. Une nouvelle dépendance où l’on peut vaquer, déposer et ranger de vains objets, par vingtaines entassés dans des couloirs de circuits imprimés, et que l’on peut copier et recopier, couper, transposer et cloner indéfiniment et jusqu’à l’infini. Tout s’en trouve alors tellement plein, qu’il ne reste même pas place pour cette simple réflexion : « A quoi cela sert-il ? ».

Depuis tant d’années déjà, assis plusieurs heures face à ce carré de verre, chaque jour face à cette fenêtre sur le monde. MAIS QUEL MONDE ? Peut-on être sûr de la réalité de ce que l’on voit par la fenêtre ? Derrière la vitre, qu’y a-t-il vraiment ?

L’ordinateur, d’abord outil de travail, permettant de rédiger des textes, des discours, de faire de la comptabilité, de travailler des plans, des architectures, a glissé lentement au fil des années vers une autre fonction, et est devenu moyen de communication. Communication avec qui, avec quoi ? Avec le monde entier, avec les gens, les autres gens, le peuple, LES peuples, les élites aussi ? Communication avec qui ? Avec des inconnus, dont on ne sera jamais sûr de ce qu’ils sont vraiment, sûr ni de leur profession, ni même de leur sexe, encore moins de leurs mœurs ? Et pendant ce temps, on ne rencontrera jamais celui ou celle que l’on pourrait réellement connaître, celui ou celle que l’on côtoie physiquement et qui dort là, derrière ce mur de pierres, dans l’appartement d’à côté. Non, chacun dans son cube, face à une vitre où défile un paysage fait de fichiers, de dossiers, d’images, de sons, presque l’on s’y croirait, vivant, réel, en chair et en os, au milieu de tous ces fichiers empilés, presque on pourrait les toucher, les palper, les ouvrir comme de bons vieux livres faits de papier, presque on sentirait l’odeur de l’encre tant les objets, disposés ça et là, derrière la vitre, semblent être vrais.

Bientôt, des vitres géantes placardées sur des murs entiers deviendront fenêtres sur le monde ! Et un être, un être vivant, un humain sans doute, doté d’intelligence si tant peu qu’il lui en reste, assis tout au bout de la pièce, cloisonné dans un cube immense, fixant continuellement le mur d’images, tapotant toujours sur un clavier, des heures et des heures obsédé par ce travail futile et journalier. Cet homme-là ne connaîtra plus le monde, QUE par cette fenêtre ! Assis toujours dans un cube sans portes ni fenêtres, enfin… une seule fenêtre, cette vitre géante placardée sur le mur ! De temps à autre, un instant de folie, l’homme se lève, se jette sur la vitre, la palpe des mains tout du long… Il veut voir le monde, il veut voir si cela existe, il frappe sur la vitre, il frappe violemment, il veut aller derrière, « pour de vrai », il veut glisser sur les formes, caresser le corps de cette femme, s’enivrer de sa douceur, sentir sous ses pas le sol rugueux, la roche rêche, respirer l’air du dehors et marcher dans le sol neigeux, fouler des pieds cette montagne. Mais… Tout autour de lui, un cube d’ébène et pour toute lumière un carré d’ivoire… Pour seul accès au monde, une vitre froide plaquée dans un cube froid, une vitre pour voir le monde non comme il est, mais comme on le désire, comme on le fantasme, une vitre toute lisse sans rugosité ni douceur, une vitre forte en absence de sensations. Alors l’homme – s’il peut encore prendre cette dénomination tant il se trouve réifié par l’instrument qui le possède -, alors l’homme se retourne, baisse la tête, retourne à l’autre bout du cube, se rassoit, puis reprend son tapotement incessant sur le clavier.

Y a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Il me semble apercevoir le monde, voir des formes… Je crois avoir parlé, une ou deux fois, peut-être trois ou bien plus, à des êtres soi-disant incarnés. Ces êtres semblaient avoir une existence, une vie qui leur était propre, une intelligence aussi. Et si finalement, il n’y avait personne d’autre que soi-même derrière la vitre ? Si, en définitive, la vitre n’était pas une vitre mais un miroir renvoyant éternellement à soi-même ? Alors, l’humanité ne serait faite que d’un seul homme : MOI !?

Tony BONTEMPI - 2007 - Tous droits réservés