dimanche 3 mai 2020

Derrière la vitre

En 2007, je lançais mon premier blog. Portant d'abord le nom de Lambeaux d'une civilisation décadente, il fut renommé par la suite Nécropolis - Lambeaux d'humanité. À l'image de ces mots, le thème en était très noir et l'écrit sombrait invariablement dans un pessimisme profond. Seuls survivants de ce temps, quelques textes et la photo mise en scène ci-dessous (véritable image du blog de l'époque).




Parmi les écrits de Nécropolis, Derrière la vitre est un texte des plus défaitistes quant à notre avenir face à ce que l'on appelait il n'y a même pas vingt ans les "nouvelles technologies", et qui font aujourd'hui partie de notre quotidien comme si elles avaient toujours été présentes aux côtés de l'homme, depuis les temps les plus reculés... Mais au final, n'y aurait-il pas un fond de vérité dans cette dernière pensée ? Tout ce que l'humanité vit aujourd'hui de "progrès" - et tout ce qu'elle vivra par la suite -, n'était-il pas déjà présent en germes chez l'homme de Cro Magnon ? Dans cette étincelle d'intelligence jaillissant de la frappe de deux silex ?... Voyage dans la démence profonde du monde virtuel : Derrière la vitre...

Y a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Quelqu’un pour répondre à nos attentes, à nos espoirs, à nos cris, quelqu’un, quelqu’un doté d’une intelligence, un être vivant, un humain, un semblable, semblable autre que machines, semblable à ce que je suis : doté d'une peau, d'un corps, de viscères, d'un cerveau ? Une autre intelligence que moi, mais semblable à moi, là, juste derrière la vitre, juste derrière la vitre? Y a-t-il quelqu’un ?

Depuis combien d’années déjà nous enfermons-nous face à cette paroi de verre ?  La toile fait tant partie de notre quotidien maintenant, qu’elle semble avoir toujours été là. Pourtant, elle a pénétré nos foyers voici seulement un peu plus de dix ans. Ce n’est pas vieux mais qui, après y avoir goûté, pourrait depuis lors s’en séparer ?

La toile tisse ses liens et le lien à l’humain s’en trouve renforcé ; en premier lieu additif de notre quotidien, elle est ensuite devenu omniprésente et addictive. Une nouvelle dépendance où l’on peut vaquer, déposer et ranger de vains objets, par vingtaines entassés dans des couloirs de circuits imprimés, et que l’on peut copier et recopier, couper, transposer et cloner indéfiniment et jusqu’à l’infini. Tout s’en trouve alors tellement plein, qu’il ne reste même pas place pour cette simple réflexion : « A quoi cela sert-il ? ».

Depuis tant d’années déjà, assis plusieurs heures face à ce carré de verre, chaque jour face à cette fenêtre sur le monde. MAIS QUEL MONDE ? Peut-on être sûr de la réalité de ce que l’on voit par la fenêtre ? Derrière la vitre, qu’y a-t-il vraiment ?

L’ordinateur, d’abord outil de travail, permettant de rédiger des textes, des discours, de faire de la comptabilité, de travailler des plans, des architectures, a glissé lentement au fil des années vers une autre fonction, et est devenu moyen de communication. Communication avec qui, avec quoi ? Avec le monde entier, avec les gens, les autres gens, le peuple, LES peuples, les élites aussi ? Communication avec qui ? Avec des inconnus, dont on ne sera jamais sûr de ce qu’ils sont vraiment, sûr ni de leur profession, ni même de leur sexe, encore moins de leurs mœurs ? Et pendant ce temps, on ne rencontrera jamais celui ou celle que l’on pourrait réellement connaître, celui ou celle que l’on côtoie physiquement et qui dort là, derrière ce mur de pierres, dans l’appartement d’à côté. Non, chacun dans son cube, face à une vitre où défile un paysage fait de fichiers, de dossiers, d’images, de sons, presque l’on s’y croirait, vivant, réel, en chair et en os, au milieu de tous ces fichiers empilés, presque on pourrait les toucher, les palper, les ouvrir comme de bons vieux livres faits de papier, presque on sentirait l’odeur de l’encre tant les objets, disposés ça et là, derrière la vitre, semblent être vrais.

Bientôt, des vitres géantes placardées sur des murs entiers deviendront fenêtres sur le monde ! Et un être, un être vivant, un humain sans doute, doté d’intelligence si tant peu qu’il lui en reste, assis tout au bout de la pièce, cloisonné dans un cube immense, fixant continuellement le mur d’images, tapotant toujours sur un clavier, des heures et des heures obsédé par ce travail futile et journalier. Cet homme-là ne connaîtra plus le monde, QUE par cette fenêtre ! Assis toujours dans un cube sans portes ni fenêtres, enfin… une seule fenêtre, cette vitre géante placardée sur le mur ! De temps à autre, un instant de folie, l’homme se lève, se jette sur la vitre, la palpe des mains tout du long… Il veut voir le monde, il veut voir si cela existe, il frappe sur la vitre, il frappe violemment, il veut aller derrière, « pour de vrai », il veut glisser sur les formes, caresser le corps de cette femme, s’enivrer de sa douceur, sentir sous ses pas le sol rugueux, la roche rêche, respirer l’air du dehors et marcher dans le sol neigeux, fouler des pieds cette montagne. Mais… Tout autour de lui, un cube d’ébène et pour toute lumière un carré d’ivoire… Pour seul accès au monde, une vitre froide plaquée dans un cube froid, une vitre pour voir le monde non comme il est, mais comme on le désire, comme on le fantasme, une vitre toute lisse sans rugosité ni douceur, une vitre forte en absence de sensations. Alors l’homme – s’il peut encore prendre cette dénomination tant il se trouve réifié par l’instrument qui le possède -, alors l’homme se retourne, baisse la tête, retourne à l’autre bout du cube, se rassoit, puis reprend son tapotement incessant sur le clavier.

Y a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Il me semble apercevoir le monde, voir des formes… Je crois avoir parlé, une ou deux fois, peut-être trois ou bien plus, à des êtres soi-disant incarnés. Ces êtres semblaient avoir une existence, une vie qui leur était propre, une intelligence aussi. Et si finalement, il n’y avait personne d’autre que soi-même derrière la vitre ? Si, en définitive, la vitre n’était pas une vitre mais un miroir renvoyant éternellement à soi-même ? Alors, l’humanité ne serait faite que d’un seul homme : MOI !?

Tony BONTEMPI - 2007 - Tous droits réservés

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