En 2007, je lançais mon premier blog. Portant d'abord le nom de Lambeaux d'une civilisation décadente, il fut renommé par la suite Nécropolis - Lambeaux d'humanité. À l'image de ces mots, le thème en était très noir et l'écrit sombrait invariablement dans un pessimisme profond. Seuls survivants de ce temps, quelques textes et la photo mise en scène ci-dessous (véritable image du blog de l'époque).
Parmi les écrits de Nécropolis, Derrière la vitre est un texte des plus défaitistes quant à notre avenir face à ce que l'on appelait il n'y a même pas vingt ans les "nouvelles technologies",
et qui font aujourd'hui partie de notre quotidien comme si elles
avaient toujours été présentes aux côtés de l'homme, depuis les temps
les plus reculés... Mais au final, n'y aurait-il pas un fond de vérité
dans cette dernière pensée ? Tout ce que l'humanité vit aujourd'hui de
"progrès" - et tout ce qu'elle vivra par la suite -, n'était-il pas déjà
présent en germes chez l'homme de Cro Magnon ? Dans cette étincelle
d'intelligence jaillissant de la frappe de deux silex ?... Voyage dans
la démence profonde du monde virtuel : Derrière la vitre...
Y
a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Quelqu’un pour répondre à nos
attentes, à nos espoirs, à nos cris, quelqu’un, quelqu’un doté d’une
intelligence, un être vivant, un humain, un semblable, semblable autre
que machines, semblable à ce que je suis : doté d'une peau, d'un corps,
de viscères, d'un cerveau ? Une autre intelligence que moi, mais
semblable à moi, là, juste derrière la vitre, juste derrière la vitre? Y
a-t-il quelqu’un ?
Depuis combien d’années déjà nous enfermons-nous face à cette paroi de verre ?
La toile fait tant partie de notre quotidien maintenant, qu’elle semble
avoir toujours été là. Pourtant, elle a pénétré nos foyers voici
seulement un peu plus de dix ans. Ce n’est pas vieux mais qui, après y
avoir goûté, pourrait depuis lors s’en séparer ?
La
toile tisse ses liens et le lien à l’humain s’en trouve renforcé ; en
premier lieu additif de notre quotidien, elle est ensuite devenu
omniprésente et addictive. Une nouvelle dépendance où l’on peut vaquer,
déposer et ranger de vains objets, par vingtaines entassés dans des
couloirs de circuits imprimés, et que l’on peut copier et recopier,
couper, transposer et cloner indéfiniment et jusqu’à l’infini. Tout s’en
trouve alors tellement plein, qu’il ne reste même pas place pour cette
simple réflexion : « A quoi cela sert-il ? ».
Depuis
tant d’années déjà, assis plusieurs heures face à ce carré de verre,
chaque jour face à cette fenêtre sur le monde. MAIS QUEL MONDE ? Peut-on
être sûr de la réalité de ce que l’on voit par la fenêtre ? Derrière la
vitre, qu’y a-t-il vraiment ?
L’ordinateur,
d’abord outil de travail, permettant de rédiger des textes, des
discours, de faire de la comptabilité, de travailler des plans, des
architectures, a glissé lentement au fil des années vers une autre
fonction, et est devenu moyen de communication. Communication avec qui,
avec quoi ? Avec le monde entier, avec les gens, les autres gens, le
peuple, LES peuples, les élites aussi ? Communication avec qui ? Avec
des inconnus, dont on ne sera jamais sûr de ce qu’ils sont vraiment, sûr
ni de leur profession, ni même de leur sexe, encore moins de leurs
mœurs ? Et pendant ce temps, on ne rencontrera jamais celui ou celle que
l’on pourrait réellement connaître, celui ou celle que l’on côtoie
physiquement et qui dort là, derrière ce mur de pierres, dans
l’appartement d’à côté. Non, chacun dans son cube, face à une vitre où
défile un paysage fait de fichiers, de dossiers, d’images, de sons,
presque l’on s’y croirait, vivant, réel, en chair et en os, au milieu de
tous ces fichiers empilés, presque on pourrait les toucher, les palper,
les ouvrir comme de bons vieux livres faits de papier, presque on
sentirait l’odeur de l’encre tant les objets, disposés ça et là,
derrière la vitre, semblent être vrais.
Bientôt,
des vitres géantes placardées sur des murs entiers deviendront fenêtres
sur le monde ! Et un être, un être vivant, un humain sans doute, doté
d’intelligence si tant peu qu’il lui en reste, assis tout au bout de la
pièce, cloisonné dans un cube immense, fixant continuellement le mur
d’images, tapotant toujours sur un clavier, des heures et des heures
obsédé par ce travail futile et journalier. Cet homme-là ne connaîtra
plus le monde, QUE par cette fenêtre ! Assis toujours dans un cube sans
portes ni fenêtres, enfin… une seule fenêtre, cette vitre géante
placardée sur le mur ! De temps à autre, un instant de folie, l’homme se
lève, se jette sur la vitre, la palpe des mains tout du long… Il veut
voir le monde, il veut voir si cela existe, il frappe sur la vitre, il
frappe violemment, il veut aller derrière, « pour de vrai », il veut
glisser sur les formes, caresser le corps de cette femme, s’enivrer de
sa douceur, sentir sous ses pas le sol rugueux, la roche rêche, respirer
l’air du dehors et marcher dans le sol neigeux, fouler des pieds
cette montagne. Mais… Tout autour de lui, un cube d’ébène et pour toute
lumière un carré d’ivoire… Pour seul accès au monde, une vitre froide
plaquée dans un cube froid, une vitre pour voir le monde non comme il
est, mais comme on le désire, comme on le fantasme, une vitre toute
lisse sans rugosité ni douceur, une vitre forte en absence de
sensations. Alors l’homme – s’il peut encore prendre cette dénomination
tant il se trouve réifié par l’instrument qui le possède -, alors
l’homme se retourne, baisse la tête, retourne à l’autre bout du cube, se
rassoit, puis reprend son tapotement incessant sur le clavier.
Y
a-t-il quelqu’un derrière la vitre ? Il me semble apercevoir le monde,
voir des formes… Je crois avoir parlé, une ou deux fois, peut-être trois
ou bien plus, à des êtres soi-disant incarnés. Ces êtres semblaient
avoir une existence, une vie qui leur était propre, une intelligence
aussi. Et si finalement, il n’y avait personne d’autre que soi-même
derrière la vitre ? Si, en définitive, la vitre n’était pas une vitre
mais un miroir renvoyant éternellement à soi-même ? Alors, l’humanité ne
serait faite que d’un seul homme : MOI !?
Tony BONTEMPI - 2007 - Tous droits réservés
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