Dernièrement a été mis en vente à La Rose Rouge un petit fascicule signé Emmanuel Bram et portant le titre évocateur - du moins pour certains - de Viva Angelina. Rappelons pour les autres que la "sentence" Viva Angelina avait été retrouvée, écrite d'une main maladroite, sur les restes d'un paquet de papier à cigarettes à côté du corps de l'abbé Antoine Gélis, curé de Coustaussa (Aude), sauvagement assassiné dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1897. Le ou les assassins n'ayant jamais été retrouvés... (1)
Dans cette nouvelle truffée d'ésotérisme et de phrases à double ou triple sens, l'auteur prétend nous dévoiler un document que lui aurait légué son grand-père Francis Bram, avec révélations fracassantes sur le meurtre de l'abbé... sans nous préciser s'il s'agit d'une fiction ou d'une réalité. L'écriture, talentueuse et limpide, auréolée de mystère, fait se poser mille interrogations à l'esprit du lecteur. On a presque affaire à un livre interactif, où chacun pourrait enquêter, intervenir et interpréter les faits à sa manière et selon son propre mode de pensée.
Mais Emmanuel Bram n'a pas composé que cet opuscule et il est l'auteur de plusieurs autres ouvrages. Citons son premier, Le cimetière, conte initiatique dont je conseille vivement la lecture, et dont la couverture elle-même a son importance alors que ce détail n'est pas dévoilé dans l'ouvrage.
Tout récemment, l'auteur a encore signé Caïn, et c'est dans cette œuvre que l'on retrouve le mystère de Rennes-le-Château. La quatrième de couverture incite à ne pas lire ce livre :
Ne lisez pas ce livre, vous ne lui plairez pas.
Il doit être publié mais n'a pas vocation à être lu.
Pas par vous.
Cet avertissement n'est ni une insulte, ni une marque de mépris envers votre personne. Il désire simplement vous éviter de perdre une poignée d'heures sur le peu de temps qu'il vous reste à vivre.
Chaque minute est un pas de plus vers l'au-delà ou le néant.
Parfois, entre de mauvaises mains, les heures peuvent compter double...
Mais paradoxalement, cette quatrième de couverture nous invitant à fuir le livre fait en réalité l'effet inverse : on est pressé d'en savoir plus, on voudrait tenir le livre entre nos mains, l'ouvrir, apprendre son contenu... enfin et bravant l'interdiction, le lire !
Nous reproduisons ci-dessous - avec l'aimable autorisation de l'auteur -, l'extrait de Caïn concernant Rennes-le-Château. La scène se passe dans l'église...
...Dès l’entrée, un diable nous accueillait malicieusement. Ses yeux bleus lançaient un avertissement au visiteur : Ce lieu est terrible car c’est la demeure de l’Éternel. Nul archange Michael au-dessus de lui pour le transpercer d’une lance. Il était là, un genou à terre, telle était sa place, gardant un secret ancien, comme l’indiquait la teinture de sa cape aux reflets d’émeraude. Ce qui est né de chair est chair et ce qui est né d’esprit est esprit. Il faut naître une seconde fois et pour cela, le seul chemin est la mort. Le sourire narquois du prince des enfers nous invitait à abandonner tout espoir si l’on désirait le suivre sur le chemin de la résurrection. Eli, Eli, lema sabachtani, la sueur de sang inondera ton visage, toi qui désires trouver le château du roi pêcheur.
Après une longue traversée des enfers, apparaît, en face du gardien du seuil, une sculpture grandeur nature de saint Jean baptisant Jésus. Si tu n’as pas sombré dans l’au-delà durant ton périple et que l’Esprit-Saint t’estime digne de poursuivre la Voie, il descendra sur toi pour te permettre de vaincre la première mort. Tu recevras la marque sur le front et commencera à voir le Monde avec ce nouvel œil. Entouré par les ténèbres, laissant tes larmes dans une ancienne vie, tu avanceras d’un pas humble vers la prochaine statue éclairée à travers les vitraux par le soleil de midi. Sainte Germaine, la bergère, baisse les yeux sur la rivière de roses s’écoulant de sa robe. Atrophiée, humiliée par sa marâtre, Cendrillon dormait dans l’étable et offrait son pain aux indigents. Un jour, sa belle-mère, cherchant à l’accuser de voler du pain pour le gaspiller en aumône, l’obligea à dévoiler le pan de sa robe qu’elle tenait souvent relevé lorsqu’elle se rendait au village. Prise en flagrant délit, Germaine lâcha sa robe et fut émerveillée de voir un flot de roses s’en échapper. Le pain s’était changé en fleurs car ce n’est pas de pain que vivra l’homme mais de la parole de Dieu. Germaine nous apprend le don de soi, l’oubli de soi, le renoncement à l’amour propre pour ne porter dévotion qu’au divin. Devenir Personne afin de tromper Polyphème et travesti en brebis du Seigneur, échapper à son emprise mensongère. Lazo cherchait à se souvenir de ce temps où miséreux, il ne s’accordait même plus la qualité d’être humain. Dimitri était venu le repêcher dans la rue et avait changé sa croûte de pain en roses resplendissantes. Du moins, c’est la façon dont il le vécut à l’époque. Après s’être recueilli un instant, il se retourna et fit quelques pas en direction de la façade nord où nous attend avec impatience la prochaine statue sur la voie royale. Saint Roch, patron des compagnons et des pèlerins, un bâton arborant la coquille Saint-Jacques en main gauche, il nous montre de la droite sa blessure à la jambe. Il boite, tout comme Jacob après son combat avec l’ange, Héphaïstos le forgeron des dieux, Œdipe et tant d’autres à travers les nombreuses histoires de tous les peuples. L’initié est boiteux. Comme l’aurait dit le Poète, « Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Le Mat du Tarot, mordu par les monstres de ce monde, cheminant sur le sentier du champ d’étoiles, son bâton de coudrier rouge ouvrant la voie. Le Minotaure, changé en chien docile, reste à ses pieds. Il ne l’a pas tué contrairement à Thésée, il en a encore besoin. Périlleuse est la route du pèlerin lorsque la lune maîtresse règne dans le ciel, profitant de la visite du Christ aux enfers. Long est le sentier de la rédemption et de la résurrection d’entre les morts. Guidé par l’étoile et la voix de saint Jacques, il passe de monde en monde, de bâtiment en bâtiment, observant les signes lui montrant la prochaine étape. Lazo fit à nouveau un demi-tour incomplet sur lui-même et avança vers la statue de saint Antoine l’Ermite. Lui ne nous attendait pas, parcourant l’immensité de sa solitude. Le Monde n’est plus. La Création, un désert infini de vide où baigne la présence de Dieu. Les émotions s’éteignent sous le flot de la manne céleste, les sept péchés capitaux se mêlent aux sept vertus pour fondre sous les rayons d’une pure lumière. Plus un bruit, pas même le chuchotement du vent ne vient troubler la sérénité de l’errant. Il ne sait pas qui il est ni qui il a pu être. A-t-il déjà été ? Les questions s’effacent, le sable assèche ses lèvres, ses yeux perçoivent enfin la lueur. Il parle toutes les langues et aucune, il mange son propre corps et boit son propre sang. Étranger dans son pays, dont le nom a fui sa mémoire, il se souvient seulement d’avoir été appelé et de partir répondre à l’appel. Peu importe qu’il soit élu ou non, il fait son devoir, sans désir ni regret. Après quarante jours, quarante ans ou quarante siècles, l’aube d’un nouveau ciel viendra réchauffer notre âme et nous traverserons encore une fois la nef pour saluer saint Antoine de Padoue. Fleur de lys en main droite, un livre ouvert dans la gauche sur lequel trône l’Enfant Jésus. Il réunit en un seul corps, pouvoir temporel et spirituel. Il a trouvé son Dieu. Enfin, après tant d’errances, de souffrances, d’abandon, le Verbe est en lui, pour les siècles des siècles. C’est un Saint, un Bouddha, l’Éveillé, celui qui siégera à la droite du Seigneur. Juste parmi les Justes, il change les métaux en or et guérit les âmes. Il a été appelé et a été élu. Il n’est plus qu’Amour et voit en toutes choses la manifestation divine. Lazo n’eut pas à se retourner, il savait qu’aucune statue ne terminait le mot Graal (2). Derrière lui, en face de saint Antoine, la chaire exposait des gravures. Les quatre évangélistes surmontés par deux Christ. Jésus, en manteau rouge, roi des cieux et saint Lazare, en manteau bleu, roi du Monde. Lazare, le premier ressuscité d’entre les morts, frère de Marie et de Marthe, celui que Jésus aimait, son jumeau. Dans le chœur, les statues de saint Joseph et de Marie, chacun portant un de leurs enfants bénis. Le premier, fils d’Adam, mourra sur une croix pour racheter les péchés de l’humanité, le second, fils d’Eve, se rendra en pays celte pour enfouir dans les denses forêts bretonnes, le secret de l’immortalité.
Nous espérons que ces quelques lignes vous stimuleront à découvrir l’œuvre d'Emmanuel Bram... à défaut de connaître sa vie, car l'auteur est lui-même un mystère, personne ne sachant vraiment qui il est ni même où il vit... à part son éditeur et une poignée d'initiés...
Terminons avec un article méconnu sur l'assassinat de l'abbé Gélis (3).
(1) En 1967, Gérard de Sède évoque ce meurtre dans L'or de Rennes ou la vie insolite de Bérenger Saunière curé de Rennes-le-Château (réédité peu de temps après en version poche sous le titre Le trésor maudit de Rennes-le-Château), faisant ainsi le lien entre deux mystères. Depuis, le dossier d'enquête sur l'assassinat de l'abbé Gélis a été publié en totalité en fac-similé : L'affaire Gélis, l'intégralité de l'enquête, Équinoxis, 2022, 2 tomes, 858 p. Il existe également un résumé sous le titre Coustaussa, l'affaire Gélis - Enquête criminelle d'un mystérieux assassinat, Pégase, 2005, réimpression 2018, 60 p. Avant cela, Jacques Rivière, Gilbert Tappa et Claude Boumendil avaient publié Le fabuleux trésor de Rennes-le-Château ! Le secret de l'abbé Gélis, la piste corse, qui reprenait déjà une partie du dossier d'enquête d'origine (Bélisane, 1996, 206 p.).
(2) Voir à ce propos Le secret de l'église de Rennes-le-Château de la Médaille Miraculeuse au Graal, par Henri Mertal, in Association Terre de Rhedae, bulletin n° 10, novembre 1996, pp. 15-19, ainsi que Code AA - Rennes-le-Château, l'énigme de Herman Treil, GE Diffusion / Viarégis, 2015, pp. 447 et 613.
(3) Le Journal de Limoux n° 45, 65e année, 7 novembre 1897. Merci à Philippe Esperce de la librairie Des Mots et des Bulles, grâce auquel j'ai pu redécouvrir cet article. Par ailleurs, de nombreux autres articles d'époque ont été réédités dans le deuxième tome de L'affaire Gélis, l'intégralité de l'enquête.