dimanche 6 octobre 2024

"Caïn", Emmanuel Bram et Rennes-le-Château

Dernièrement a été mis en vente à La Rose Rouge un petit fascicule signé Emmanuel Bram et portant le titre évocateur - du moins pour certains - de Viva Angelina. Rappelons pour les autres que la "sentence" Viva Angelina avait été retrouvée, écrite d'une main maladroite, sur les restes d'un paquet de papier à cigarettes à côté du corps de l'abbé Antoine Gélis, curé de Coustaussa (Aude), sauvagement assassiné dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1897. Le ou les assassins n'ayant jamais été retrouvés... (1)


Dans cette nouvelle truffée d'ésotérisme et de phrases à double ou triple sens, l'auteur prétend nous dévoiler un document que lui aurait légué son grand-père Francis Bram, avec révélations fracassantes sur le meurtre de l'abbé... sans nous préciser s'il s'agit d'une fiction ou d'une réalité. L'écriture, talentueuse et limpide, auréolée de mystère, fait se poser mille interrogations à l'esprit du lecteur. On a presque affaire à un livre interactif, où chacun pourrait enquêter, intervenir et interpréter les faits à sa manière et selon son propre mode de pensée.

 Mais Emmanuel Bram n'a pas composé que cet opuscule et il est l'auteur de plusieurs autres ouvrages. Citons son premier, Le cimetière, conte initiatique dont je conseille vivement la lecture, et dont la couverture elle-même a son importance alors que ce détail n'est pas dévoilé dans l'ouvrage. 

 

 

Tout récemment, l'auteur a encore signé Caïn, et c'est dans cette œuvre que l'on retrouve le mystère de Rennes-le-Château. La quatrième de couverture incite à ne pas lire ce livre :

Ne lisez pas ce livre, vous ne lui plairez pas.

Il doit être publié mais n'a pas vocation à être lu.

Pas par vous.

Cet avertissement n'est ni une insulte, ni une marque de mépris envers votre personne. Il désire simplement vous éviter de perdre une poignée d'heures sur le peu de temps qu'il vous reste à vivre.

Chaque minute est un pas de plus vers l'au-delà ou le néant.

Parfois, entre de mauvaises mains, les heures peuvent compter double...

 


Mais paradoxalement, cette quatrième de couverture nous invitant à fuir le livre fait en réalité l'effet inverse : on est pressé d'en savoir plus, on voudrait tenir le livre entre nos mains, l'ouvrir, apprendre son contenu... enfin et bravant l'interdiction, le lire !

Nous reproduisons ci-dessous - avec l'aimable autorisation de l'auteur -, l'extrait de Caïn concernant Rennes-le-Château. La scène se passe dans l'église...

 ...Dès l’entrée, un diable nous accueillait malicieusement. Ses yeux bleus lançaient un avertissement au visiteur : Ce lieu est terrible car c’est la demeure de l’Éternel. Nul archange Michael au-dessus de lui pour le transpercer d’une lance. Il était là, un genou à terre, telle était sa place, gardant un secret ancien, comme l’indiquait la teinture de sa cape aux reflets d’émeraude. Ce qui est né de chair est chair et ce qui est né d’esprit est esprit. Il faut naître une seconde fois et pour cela, le seul chemin est la mort. Le sourire narquois du prince des enfers nous invitait à abandonner tout espoir si l’on désirait le suivre sur le chemin de la résurrection. Eli, Eli, lema sabachtani, la sueur de sang inondera ton visage, toi qui désires trouver le château du roi pêcheur.

Après une longue traversée des enfers, apparaît, en face du gardien du seuil, une sculpture grandeur nature de saint Jean baptisant Jésus. Si tu n’as pas sombré dans l’au-delà durant ton périple et que l’Esprit-Saint t’estime digne de poursuivre la Voie, il descendra sur toi pour te permettre de vaincre la première mort. Tu recevras la marque sur le front et commencera à voir le Monde avec ce nouvel œil. Entouré par les ténèbres, laissant tes larmes dans une ancienne vie, tu avanceras d’un pas humble vers la prochaine statue éclairée à travers les vitraux par le soleil de midi. Sainte Germaine, la bergère, baisse les yeux sur la rivière de roses s’écoulant de sa robe. Atrophiée, humiliée par sa marâtre, Cendrillon dormait dans l’étable et offrait son pain aux indigents. Un jour, sa belle-mère, cherchant à l’accuser de voler du pain pour le gaspiller en aumône, l’obligea à dévoiler le pan de sa robe qu’elle tenait souvent relevé lorsqu’elle se rendait au village. Prise en flagrant délit, Germaine lâcha sa robe et fut émerveillée de voir un flot de roses s’en échapper. Le pain s’était changé en fleurs car ce n’est pas de pain que vivra l’homme mais de la parole de Dieu. Germaine nous apprend le don de soi, l’oubli de soi, le renoncement à l’amour propre pour ne porter dévotion qu’au divin. Devenir Personne afin de tromper Polyphème et travesti en brebis du Seigneur, échapper à son emprise mensongère. Lazo cherchait à se souvenir de ce temps où miséreux, il ne s’accordait même plus la qualité d’être humain. Dimitri était venu le repêcher dans la rue et avait changé sa croûte de pain en roses resplendissantes. Du moins, c’est la façon dont il le vécut à l’époque. Après s’être recueilli un instant, il se retourna et fit quelques pas en direction de la façade nord où nous attend avec impatience la prochaine statue sur la voie royale. Saint Roch, patron des compagnons et des pèlerins, un bâton arborant la coquille Saint-Jacques en main gauche, il nous montre de la droite sa blessure à la jambe. Il boite, tout comme Jacob après son combat avec l’ange, Héphaïstos le forgeron des dieux, Œdipe et tant d’autres à travers les nombreuses histoires de tous les peuples. L’initié est boiteux. Comme l’aurait dit le Poète, « Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Le Mat du Tarot, mordu par les monstres de ce monde, cheminant sur le sentier du champ d’étoiles, son bâton de coudrier rouge ouvrant la voie. Le Minotaure, changé en chien docile, reste à ses pieds. Il ne l’a pas tué contrairement à Thésée, il en a encore besoin. Périlleuse est la route du pèlerin lorsque la lune maîtresse règne dans le ciel, profitant de la visite du Christ aux enfers. Long est le sentier de la rédemption et de la résurrection d’entre les morts. Guidé par l’étoile et la voix de saint Jacques, il passe de monde en monde, de bâtiment en bâtiment, observant les signes lui montrant la prochaine étape. Lazo fit à nouveau un demi-tour incomplet sur lui-même et avança vers la statue de saint Antoine l’Ermite. Lui ne nous attendait pas, parcourant l’immensité de sa solitude. Le Monde n’est plus. La Création, un désert infini de vide où baigne la présence de Dieu. Les émotions s’éteignent sous le flot de la manne céleste, les sept péchés capitaux se mêlent aux sept vertus pour fondre sous les rayons d’une pure lumière. Plus un bruit, pas même le chuchotement du vent ne vient troubler la sérénité de l’errant. Il ne sait pas qui il est ni qui il a pu être. A-t-il déjà été ? Les questions s’effacent, le sable assèche ses lèvres, ses yeux perçoivent enfin la lueur. Il parle toutes les langues et aucune, il mange son propre corps et boit son propre sang. Étranger dans son pays, dont le nom a fui sa mémoire, il se souvient seulement d’avoir été appelé et de partir répondre à l’appel. Peu importe qu’il soit élu ou non, il fait son devoir, sans désir ni regret. Après quarante jours, quarante ans ou quarante siècles, l’aube d’un nouveau ciel viendra réchauffer notre âme et nous traverserons encore une fois la nef pour saluer saint Antoine de Padoue. Fleur de lys en main droite, un livre ouvert dans la gauche sur lequel trône l’Enfant Jésus. Il réunit en un seul corps, pouvoir temporel et spirituel. Il a trouvé son Dieu. Enfin, après tant d’errances, de souffrances, d’abandon, le Verbe est en lui, pour les siècles des siècles. C’est un Saint, un Bouddha, l’Éveillé, celui qui siégera à la droite du Seigneur. Juste parmi les Justes, il change les métaux en or et guérit les âmes. Il a été appelé et a été élu. Il n’est plus qu’Amour et voit en toutes choses la manifestation divine. Lazo n’eut pas à se retourner, il savait qu’aucune statue ne terminait le mot Graal (2). Derrière lui, en face de saint Antoine, la chaire exposait des gravures. Les quatre évangélistes surmontés par deux Christ. Jésus, en manteau rouge, roi des cieux et saint Lazare, en manteau bleu, roi du Monde. Lazare, le premier ressuscité d’entre les morts, frère de Marie et de Marthe, celui que Jésus aimait, son jumeau. Dans le chœur, les statues de saint Joseph et de Marie, chacun portant un de leurs enfants bénis. Le premier, fils d’Adam, mourra sur une croix pour racheter les péchés de l’humanité, le second, fils d’Eve, se rendra en pays celte pour enfouir dans les denses forêts bretonnes, le secret de l’immortalité.

 Nous espérons que ces quelques lignes vous stimuleront à découvrir l’œuvre d'Emmanuel Bram... à défaut de connaître sa vie, car l'auteur est lui-même un mystère, personne ne sachant vraiment qui il est ni même où il vit... à part son éditeur et une poignée d'initiés...

Terminons avec un article méconnu sur l'assassinat de l'abbé Gélis (3).


(1) En 1967, Gérard de Sède évoque ce meurtre dans L'or de Rennes ou la vie insolite de Bérenger Saunière curé de Rennes-le-Château (réédité peu de temps après en version poche sous le titre Le trésor maudit de Rennes-le-Château), faisant ainsi le lien entre deux mystères. Depuis, le dossier d'enquête sur l'assassinat de l'abbé Gélis a été publié en totalité en fac-similé : L'affaire Gélis, l'intégralité de l'enquête, Équinoxis, 2022, 2 tomes, 858 p. Il existe également un résumé sous le titre Coustaussa, l'affaire Gélis - Enquête criminelle d'un mystérieux assassinat, Pégase, 2005, réimpression 2018, 60 p. Avant cela, Jacques Rivière, Gilbert Tappa et Claude Boumendil avaient publié Le fabuleux trésor de Rennes-le-Château ! Le secret de l'abbé Gélis, la piste corse, qui reprenait déjà une partie du dossier d'enquête d'origine (Bélisane, 1996, 206 p.).

(2) Voir à ce propos Le secret de l'église de Rennes-le-Château de la Médaille Miraculeuse au Graal, par Henri Mertal, in Association Terre de Rhedae, bulletin n° 10, novembre 1996, pp. 15-19, ainsi que Code AA - Rennes-le-Château, l'énigme de Herman Treil, GE Diffusion / Viarégis, 2015, pp. 447 et 613.

(3) Le Journal de Limoux n° 45, 65e année, 7 novembre 1897. Merci à Philippe Esperce de la librairie Des Mots et des Bulles, grâce auquel j'ai pu redécouvrir cet article. Par ailleurs, de nombreux autres articles d'époque ont été réédités dans le deuxième tome de L'affaire Gélis, l'intégralité de l'enquête.

samedi 12 mars 2022

Les Bergers d'Arcadie, un nouvel exemplaire de la médaille d'Alphée Dubois

 Dans un précédent article, j'indiquais l'existence d'une médaille gravée par Alphée Dubois, représentant en détail Les Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin. Plusieurs exemplaires étaient présentés et décrits dans cette note, qui étaient tous unifaces (1). Dernièrement un nouvel exemplaire de cette médaille est apparu à la vente, et pour la première fois, l'ouvrage est double face. Le verso permet de confirmer que cette médaille était bien tirée pour les prix de peinture du Salon des Artistes, ici remporté par le peintre Jules Joseph Weerts. 

Il s'agit en fait vraisemblablement de Jean-Joseph Weerts, né en 1846 à Roubaix et décédé en 1927, inhumé au cimetière du Père Lachaise. Celui-ci était en effet exposé au Salon de Peinture et de Sculpture à partir de 1869 (2), ce qui s'accorde avec la date inscrite sur la médaille.

Prix remporté par J.-J. Weerts en 1875, recto

Prix remporté par J.-J. Weerts en 1875, verso

D'un diamètre de 50 mm et d'un poids de 63,76 g., portant un poinçon corne, le vendeur décrit l'objet en "cuivre doré"

Pour terminer, indiquons l'existence d'un autre tableau de Poussin gravé sur médaille, Les funérailles de Phocion qui a été peint en 1648, selon les spécialistes. D'un diamètre de 51 mm, on ignore le nom du graveur, la date de création de cette médaille ainsi que sa destination : prix ? commémoration ?... L'objet est proposé par Le Comptoir des Monnaies Anciennes, à Lille.

 
Les Funérailles de Phocion, d'après Nicolas Poussin, recto

 

Les Funérailles de Phocion, d'après Nicolas Poussin, verso

(1) À signaler toutefois qu'au verso de l'exemplaire du Musée d'Orsay, le nombre 54 à l'envers est répété cinq fois, selon leur notice.

(2) Source : Wikipédia.




mercredi 3 novembre 2021

Rennes-le-Château, un texte inédit de Alain Féral

Le texte ci-dessous est un inédit d'Alain Féral (1942-2013 - Poète, musicien, chanteur, écrivain, dessinateur, peintre...). Je remercie vivement Mickaël Féral pour l'autorisation de publication. 

Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation.

Avant toute chose, rappelons qu'Alain Féral fut surtout connu du grand public dans les années 1960 et 1970, alors qu'il était auteur-compositeur-interprète pour son groupe Les enfants terribles. Deux albums furent édités, C'est la vie  et On l'appelle Madame, entre autres 45 tours avec le groupe ou en solo.

Dans les années 1980, Alain installe son atelier d'artiste à Rennes-le-Château dans l'Aude. C'est là que je l'ai connu à mon arrivée en mars 1994. Quelques années plus tard, à la demande de la commune de Rennes-le-Château, Alain Féral travaille sur la restauration du Calvaire et de la Vierge qui lui fait face, dans le jardin de l'église. C'est le sujet du texte ci-dessous, qu'il rédigea en 1999 et dont il m'offrit un exemplaire.

 

LE CHRIST DU CALVAIRE

(LETTRE OUVERTE AU MAIRE DE RENNES-LE-CHÂTEAU (1))

("Où je vais dire pourquoi j'ai fait d'un Christ - précédemment passé, en quinze ans, de la couleur Verte à la couleur Bleu-Blanc-Rouge, après une période de Brun-Rouille, pour finir dernièrement au Blanc-Plâtré-Marronné - ...où je vais dire pourquoi j'ai fait, de ce Christ, le Christ que j'ai fait")                                            

    Alain Féral. Rennes-le-Château. Juillet 99

 

"...Voilà qu'un soir, j'ai découvert, non pas que le Sous-Préfet était poète, mais que le Maire de Rennes-le-Château - qui plus est, serait militaire ; qui plus est, serait Colonel ; enfin qui plus est... je passe ! - que le Maire de Rennes-le-Château pouvait aussi prêter une oreille religieuse, et quasi-Souverainement Pontificale, à l'une de ses ouailles, s'il la soupçonnait d'avoir ne serait-ce qu'une once de talent, d'être pure et sensible.

L'ouaille, c'était moi.

 

- "Hé ! Michel-Ange... Et lui, le Soleil dont nous parlons, comment le verrais-tu ?" me demanda le Maire avec la voix du Pape.

 

Nous étions assis sur "le banc", dans la Grotte de Bérenger Saunière nouvellement reconstituée. Nous regardions le Calvaire, dressé devant nous, contre la nuit tombante.

La discussion ayant porté jusque là sur des sujets dangereusement métaphysiques et artistiques, j'enchaînais :

 

- "Je le verrais tout comme Bérenger Saunière, lorsqu'il l'a érigé sur la Croix de son Calvaire, il y a un siècle, après 1896 années de Tradition Chrétienne. Mais, je le ferais comme il est, au cours d'une course qui a un siècle de plus, Monsieur le Pape. Au regard d'un Christ qui a, maintenant, 2000 ans d'âge. Un Soleil tout rempli, lui aussi, de notre propre et fantastique expérience imagée.

Je verrais donc ce soleil là - jadis en forme de roue de bicyclette, excuse-moi du peu, Monsieur le Pape, mais c'était aussi le "moderne-style" de l'époque - avec une image de cent de plus... Pour qu'il parle encore aux hommes d'hier, et qu'il soit entendu, aussi, des hommes d'aujourd'hui.

Un soleil toujours perçu par l'homme comme le soleil traditionnel de la Résurrection. Qui s'éteint, le soir, sous ses draperies d'ors, pour renaître au matin, de tout l'argent de l'aube. Mais qui tournoie aussi dans l'espace, éclaté de pierres propres à chacune des planètes vers lesquelles nous courons déjà, de l'autre côté du ciel, accrocher nos Ancres et nos Croix, depuis un demi lustre.

 Et je te ferais donc un grand soleil de flammes, tout caboché de pierres, cuirassé d'or et rayonné d'argent. Tout en lumière d'aujourd'hui. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent, pas à pas, dans l'espace, sans lumière identifiée."

 

- "Et le Christ, alors, comment le verrais-tu, Maestro ?" - me demanda le Maire avec la voix du Colonel.

 

- "Je le verrais comme un cristal. Un cristal perpétuellement changeant, nuit et jour, sous la voûte céleste, Monsieur le Colonel. Tantôt miroir, sous les nuages de nacre. Tantôt ruisseau veiné de mercure, sous les eaux de la pluie. Et tantôt transparent d'ombres et de terre, et de toutes les couleurs dont se colorent le ciel et la terre au temps des lumières et de l'obscurité.

Pour qu'à 20 h 30, selon l'exemple et de savants calculs, d'entre l'espace troué qui traverse la cour vide du Presbytère, le dernier rayon pivotant du soleil que tu vois, à son coucher, aille l'embraser de feu, lui aussi, du buste auréolé jusqu'à la face.

Pour que, la nuit l'ayant chuté, et couvert d'ombre, jusqu'à l'étouffe, Il renaisse encore, et toujours, au souffle du matin, plus transparent et plus radieux encore que la lumière diffuse de l'aube dans son dos.

Pour que, du miroir de Son corps, à chaque étape des heures, des jours et des saisons que traversent les hommes de la terre et des demeures de l'autre côté du ciel, leur soient révélé le lent cours fluide et les couleurs des temps Christiques sans cesse ressuscités.

Et je te ferais donc un Christ tout en miroir du temps, comme un cristal. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent, pas à pas, dans l'espace, sans lumière encore identifiée."

 

- "Et la Croix, comment la verrais-tu, l'Artiste ?" - me demanda le Maire avec enfin la voix du Maire.

Avant / Après : le Calvaire tel que l'a érigé Bérenger Saunière à la fin du XIXe siècle (2) et après la restauration de Alain Féral (état actuel)


 

 

- "Je la verrais à l'heure du soleil à son Zénith, Monsieur le Maire. Je t'en truquerais, par les façons de l'Art, toutes les ombres et toutes les lumières, de manière à ce que tout être vivant qui tourne autour d'elle et de ses quatre balustres - comme tourne, autour de son axe, l'ombre principale du temps - garde, à quelque heure du jour et de la nuit que ce soit, la même Connaissance :

La Connaissance qu'il y a ici, dans tout l'Espace-temps de chaque être vivant de la terre, comme dans tout l'Espace-temps des différents autres côtés du ciel, un lieu et un instant figés où la Lumière règne dans son plein éclat maximum.

Et je te ferais donc la Croix, comme le pieu d'un cadran qui marquerait éternellement la place du Zénith, au Midi de ce lieu et de cet instant qui est en soi. Pour les yeux de ceux qui marchent dans la foi, mais aussi pour ceux qui avancent pas à pas, dans l'espace, sans lumière encore identifiée."

 

Nous nous taisions.

Le Christ était là, perché, tout Marron-Blanc-Plâtré. La nuit avait tellement baissé, de l'autre côté de la cour du Presbytère, qu'on ne se voyait plus, assis sur "le banc", dans la Grotte, nous quatre : le Maire, le Colonel, le Pape et moi...

Ce fut un long moment de silence. 

Je ne les ai pas vu se lever. Mais j'ai bien entendu, quelques instants après, quelqu'un qui me disait, d'une voix forte, en s'éloignant derrière l'obscurité de l'arche du portail :

 

- "Hé bien, fais-nous tout ça, l'Artiste. Et bon courage. Tu as quinze jours." 

C'était la voix du Maire.

 

- "Tu vas nous faire tout ça. Compris, Maestro ? 5 sur 5,?... Dix jours ! Pas un de plus !"

C'était la voix du Colonel.

 

- "Tu peux bien nous faire ça, Michel-Ange,... rien qu'en trois jours. Amen."

C'était la voix du Pape... bien sûr.

 

J'étais abasourdi. Je n'ai pas répondu...

Mais, le pire, c'est que je les ai écouté tous les trois... et que je l'ai fait.

Le "Soleil" derrière la Croix, par Alain Féral. Un soleil bien différent de celui qui avait été conçu pour Bérenger Saunière

 

 

Et je tiens à remercier ici :

 

- Alain Louvel, l'assistant de cette œuvre qui a, entre autres problèmes à régler de ma part, su palier à mes angoisses vertigineuses, en se préoccupant tout spécialement de la couverture de la Croix, perché sur une échelle de 6 mètres dont je n'aurais pu escalader qu'avec peine les deux premiers échelons.

- Jacques-Bernard-Henri Lebail (3), mon complice, métallurgiste du feu et de la lampe, qui, contrairement à Icare, s'est habilement approché du soleil, pour lui en découper le cœur dont j'avais tracé les nœuds et pour en démêler, à coups de tronçonneuse, toutes les grappes d'atomes et de taches solaires dont je l'avais couvert. Il en est revenu vivant ! Je lui en suis reconnaissant.

- La participation d'une partie du village et de ses environs aux basses œuvres - "Descente du Christ" - et hautes œuvres - "Élévation et Reboulonnage du Christ sur la Croix".

Qu'ils en soient tous gratifiés dans leurs soifs à venir et dans leurs espérances présentes.

Quant à tous ceux qui ont tenu à ce que leur participation plus que généreuse demeure discrète,

...je les serre dans mon cœur, jusqu'aux temps futurs. 

 

Ces quelques pages inédites éclairent d'un jour nouveau l’œuvre de l'Artiste à Rennes-le-Château ainsi que sa brillante réinterprétation du Calvaire, érigé plus d'un siècle auparavant par le prêtre Bérenger Saunière, curé du village. 

Ce texte en soi est indissociable de l’œuvre graphique et sculpturale formée par l'ensemble Soleil-Christ-Croix et restaurée / refaçonnée par Alain  Féral à l'aube du XXIe siècle ; il était pourtant jusqu'alors totalement inconnu du public. 

Je remercie encore Mickaël Féral d'avoir accepté sa publication ici ! 

 

(1) Le maire de Rennes-le-Château était alors Jean-François Lhuilier.

(2) Carte postale ancienne, 1908 environ. Merci à Michel Vallet pour le scan.

(3) Jacques Lebail, dit "Jacky", est décédé en 2021.


 

mardi 13 avril 2021

"Le berger Paris", un dessin de Nicolas Poussin

Dans Les cahiers de Terre de Rhedae n° 10 (1), je dévoilais une possible troisième version des Bergers d'Arcadie peinte par Nicolas Poussin, alors que deux versions seulement ne sont officiellement connues et identifiées jusqu'à aujourd'hui : celle de Chatsworth House, en Angleterre, réalisée en 1628-1629, et celle du Louvre - de loin la plus célèbre -, peinte en 1638-1639 (2). À peu près à la période où je publiais cet article, je découvrais une autre curiosité dans un ouvrage de 1806, Vie de Nicolas Poussin, considéré comme chef de l'École françoise  de Gault de Saint-Germain (3). Le plus intéressant de ce livre n'est sans doute pas dans la biographie du peintre, mais plutôt dans la Description des tableaux et dessins du Poussin qui vient à sa suite, où l'on trouve nombre d'œuvres de l'artiste, dont certaines peu connues. Tel est le cas d'un dessin légendé Le berger Paris, gravé par F. Massard. C'est évidemment l'épisode antique et mythologique du Jugement de Pâris et de la pomme d'or de la discorde qui est ici évoqué. Gault de Saint-Germain décrit ce dessin en ces termes : 

Tous les dieux, excepté la Discorde, assistèrent aux noces de Thétis et de Pélée. Cette divinité, pour se venger, jeta au milieu de l'assemblée une pomme d'or avec cette inscription, Pour la plus belle. Toutes les déesses en furent troublées, toutes vouloient être la plus belle, jusqu'à ce qu'enfin elles cédèrent leurs prétentions à Junon, à Minerve, et à Vénus ; ce qui excita une si grande jalousie entre ces trois déesses, que, pour terminer leur différent, Jupiter choisit pour arbitre Pâris, fils de Priam, connu alors sur le mont Ida sous le nom d'Alexandre.

Dans cette esquisse pleine d'action le Poussin a fait sentir que le galant cortège s'avance sur le mont célèbre : Pâris l'apperçoit ; déjà il pressent le pouvoir des charmes que les trois déesses se proposent de dévoiler à ses regards. Mercure, en mettant dans sa pannetiere la pomme fatale, semble influencer son jugement en faveur de Vénus dont il étoit aimé ; l'Amour se joint à lui pour solliciter le berger en faveur de sa mère.

L'aigle de Jupiter est présent pour indiquer que ce jugement se fait sous ses auspices.

Ce précieux dessin, lavé au bistre, se voit au muséum dans la galerie d'Apollon. (4) 

 "Le berger Pâris", une des gravures du livre de Gault de Saint-Germain

Si Gault de Saint-Germain attribue ce dessin à Nicolas Poussin, on ne le retrouve ni dans le catalogue du Cabinet des singularitez d'architecture, sculpture ou graveure, imprimé plus de cent ans plus tôt en 1702, ni dans le catalogue actuel de Jacques Thuillier, Nicolas Poussin, publié chez Flammarion en 1994 et qui fait toujours autorité en la matière. Aujourd'hui, on peut douter de son attribution au peintre Poussin, mais toujours est-il que Gault de Saint-Germain le pensait, tout comme ses contemporains.

Alors, Le berger Pâris de Poussin est-il inventorié ailleurs que chez Gault de Saint-Germain ?

Le tome dix-septième du Mercure de France, littéraire et politique évoque ce dessin, mais seulement en renvoyant à l’œuvre de Gault de Saint-Germain. C'était en juin 1804, la parution de la Vie de Nicolas Poussin s'étant d'abord faite sous forme de livraisons avant d'être rassemblée en un seul volume deux ans plus tard. Voici le détail de ce qu'en dit la revue : 

La quatrième livraison de l’Oeuvre  du Poussin paraît ; elle contient quatre pages de la vie du Poussin, huit pages de description, et six gravures, dont 1. la Manne ; 2. Saint François-Xavier au Japon, qu'on croit être gravé pour la première fois ; 3. Vision de sainte Françoise ; 4. Moyse sauvé des eaux ; 5. l'Écho, paysage ; 6. le berger Pâris, esquisse.

Cet ouvrage, monument digne de la gloire du Poussin, premier peintre de l'école française, et de la nation qui s'honore de lui voir (sic) donné le jour, est dû au burin de MM. Massard (5), et au goût délicat que M. Gault (de Saint-Germain) manifeste depuis long-temps pour les arts utiles et agréables.

Plus intéressant, dans le Guide de l'École Nationale des Beaux-Arts (6) de Eugène Müntz, il est mentionné au chapitre de la salle Victor Schoelcher :

Nicolas Poussin (1594-1665). Le Jugement de Pâris. À la plume, avec des lavis. (7)

Sans pouvoir l'affirmer, notons que cette pièce pourrait bien correspondre au dessin du Berger Pâris mentionné dans l'ouvrage de 1806 : "ce précieux dessin, lavé au bistre".  

Et de Gault de Saint-Germain à Eugène Müntz, voilà à l'heure actuelle le seul suivi que l'on puisse faire du fameux dessin de Poussin, si tant est qu'il s'agit bien du même. 

Il peut paraître étonnant qu'un Jacques Thuillier n'ait fait aucune mention de ce dessin, mais après tout le catalogue d'un peintre tel que Poussin peut-il se permettre l'exhaustivité ? Par ailleurs, Thuillier s'est surtout attaché dans cet ouvrage à inventorier les tableaux du maître. Et puis, après tant de siècles et de confusion - un tableau pouvant être faussement attribué à un artiste -, bien des œuvres ont pu échapper au regard acéré des spécialistes (8).  

Le berger Pâris a-t-il vraiment été dessiné par Poussin ? Doit-on l'attribuer à un autre artiste ? Autant que possible, Jacques Thuillier indique les erreurs d'attribution, probables ou certaines. C'est le cas du portrait de Giulio Rospigliosi (9), de Poussin selon Gault de Saint-Germain, mais faussement attribué selon Jacques Thuillier. À noter aussi que Le berger Pâris n'est pas la seule œuvre inventoriée chez Gault et que l'on ne retrouve pas chez Thuillier : tel est le cas aussi, par exemple, du Pupitre d'un philosophe, mais c'est là encore un dessin, bien mystérieux d'ailleurs, et pas du tout dans le style des œuvres générales du Poussin.

 Portrait de Jules Rospigliosi, tirée du livre de Gault de Saint-Germain. Attribution à Poussin écartée par Jacques Thuillier et d'autres spécialistes

 

 


"Le pupitre d'un philosophe", une des gravures du livre de Gault de Saint-Germain


On peut être certain que la peinture gardera encore longtemps ses secrets, et qu'il reste bien des tableaux de grands maîtres à découvrir et à identifier. Sera-ce le cas pour le Berger Pâris ? Ou la troisième version des Bergers d'Arcadie évoquée en introduction de cet article, œuvre aujourd'hui perdue ? Le plus gros du travail reste aux chercheurs de l'avenir, et les découvertes promettent d'être superbes.

(1) Une possible troisième version des "Bergers d'Arcadie" de Poussin ?, par Tony BONTEMPI, in Les cahiers de Terre de Rhedae n° 10, année 2016, pp. 12-18.

(2)  Datation basée sur l'avis de Jacques Thuillier, dans Nicolas Poussin, Flammarion, 1994.

(3) Le titre complet est Vie de Nicolas Poussin, considéré comme chef de l'École françoise, suivie de notes inédites et authentiques sur sa vie et ses ouvrages, des mesures de la statue de l'Antinoüs, de la description de ses principaux tableaux, et du catalogue de ses œuvres complètes, par P. M. Gault de Saint-Germain, à Paris, chez P. Didot l'Aîné, 1806.

(4) Actuel Musée du Louvre. 

(5) Massard père et fils.

(6) Paris, Maison Quentin, s. d. (fin XIXe - début XXe environ). 

(7) Guide de l'École Nationale des Beaux-Arts, p. 170. 

(8) Toutefois, ce ne peut être le cas pour Jacques Thuillier puisque l'ouvrage de Gault de Saint-Germain est bien mentionné en bibliographie de son Nicolas Poussin.

(9) Qui deviendra pape sous le nom de Clément IX. 

jeudi 4 février 2021

1969, la poésie d'un élève de 12 ans sur Rennes-le-Château !

Le petit village de Rennes-le-Château, dans l'Aude, est bien connu pour son histoire de trésor. Le "curé aux milliards" - comme le titraient les journaux locaux en 1956 - fît bâtir au tout début XXe un domaine comprenant villa bourgeoise et tour-bibliothèque néo-gothique, le tout au milieu de jardins d'agrément. 

En 1969, Christian Chaubet, natif d'Espéraza, est élève du collège de Couiza, petite ville voisine de Rennes-le-Château. C'est l'occasion pour sa classe de monter en bus à Rennes assister à une conférence de Henri Buthion, propriétaire du domaine construit par le curé et père de Geneviève Buthion, élève dans la même classe que le jeune Christian. Devant la petite assemblée, Henri Buthion évoque le prêtre Bérenger Saunière et l'immense trésor qu'il aurait découvert dans les parages (1). On imagine les collégiens éblouis et rêveurs face à cette histoire emplie de mystère, racontée avec verve par le maître des lieux.

Ces élèves de sixième repartent du village avec des images plein la tête, et peu de temps après un concours est lancé dans leur établissement : écrire une poésie au sujet du village et de ses légendes. 

Christian Chaubet, alors âgé de 12 ou 13 ans, passe le week-end à rédiger la sienne. Aujourd'hui, il a bien voulu nous recopier ce texte, que je publie ici avec son aimable autorisation. Il nous précise qu'une strophe a malheureusement été perdue, qu'il n'a pu retrouver malgré ses recherches. Cela n'empêche pas l'ensemble d'être tout à la fois beau et cohérent, et on ne peut que féliciter l'élève de 12 ans qui a remporté le concours ! Voici ce poème inédit.

Collection privée - BONTEMPI Tony

Sur cette carte postale début XXe, la Villa Béthanie et le Domaine de l'abbé Saunière sont encore en construction.
 

 

Ô Rennes, perchée au sommet de ton plateau

Que du matin au soir survolent les oiseaux

 Combien de mystères planent au-dessus de toi

Comme s'ils s'envolaient sur une fine soie.

 

Copie actuelle de la première strophe, par Christian Chaubet

 

Ta tour et ton château qui datent de l'autre ère

Ont fait de toi, ô rennes, un site légendaire

Les estivants, l'été, goûtent la solitude

Et dans ton divin calme oublient leurs inquiétudes.

 

Autrefois, les remparts entourant le château

Refoulèrent souvent les soldats à l'assaut

Maintenant il ne reste que peu de vestiges

Qui remettent à l'esprit de merveilleux prodiges.

 

Merci à Christian Chaubet pour son poème et son témoignage !

N.B. : Reproduction interdite sans autorisation. Un lien de contact est disponible pour toute demande.

(1) Le fascicule Les secrets de l'église de Rennes-le-Château, accompagné d'un DVD et publié par les éditions Pégase, donne une idée de ce qu'a pu être cette conférence de Henri Buthion donnée aux élèves d'un collège à la fin des années 1960.




dimanche 6 décembre 2020

Au pays des montagnes bleues, le Nilguiri selon Blavatsky

Quand on évoque les ouvrages de Helena Blavatsky, on pense invariablement à Isis dévoilée ou La doctrine secrète, pourtant l'auteure a écrit nombre d'autres textes, tels que La voix du silence, ou Au pays des montagnes bleues dont nous allons parler ici.

Entre récit de voyage et étude ethnographique, l'ouvrage est empreint d'hermétisme et de sorcellerie propres aux peuples habitants le Nilguiri (littéralement, "Montagnes bleues"), dans le Sud de l'Inde. Helena Petrovna Blavatsky y décrit les différentes peuplades (Toddes, Baddagues, Kouroumbes...), les interactions entre elles, leurs rites, le témoignage de ses contemporains, et sa propre expérience puisque elle-même fera le voyage dans cette terre interdite, objet de toutes les croyances et de toutes les superstitions de la part des Indiens vivant dans le pourtour de ce territoire. 

Marc Semenoff, le traducteur de la première édition française (1926), décrit ainsi Au pays des montagnes bleues : "L'ouvrage de Blavatsky est unique dans le genre où le voyage, la science occulte, l'histoire ésotérique de l'humanité se fondent pour ne constituer qu'une grande page portant les reflets magiques du Vrai immortel." La magie et l'occulte, en effet, sont présents tout au long du livre, notamment à travers les malédictions lancées par les Moulou-Kouroumbes, entraînant des décès tous plus mystérieux les uns que les autres, avec force fièvres, hallucinations ou apparitions, que seuls les Toddes sont capables de guérir, mais seulement si telle est leur volonté.

Peuple pacifique comportant un petit nombre d'individus, les Toddes sont craints des "méchants" Kouroumbes pourtant beaucoup plus nombreux. Leur "religion" tourne autour du buffle, animal sacré à qui ils élèvent des temples incluant en leur centre un véritable "Saint des saints" inviolable, et où nul étranger ne pénètre jamais. Voici la description qu'en donne Helena Blavatsky, décrivant les villages toddes :

Pareilles maisons sont construites non loin l'une de l'autre, et entre elles, se distinguant des autres par sa grandeur et sa construction plus soignée, resplendit un tiriri, "étable sacrée pour buffles". Dans ce tiriri, derrière la première "chambre" qui sert d'asile nocturne aux buffles et surtout à leurs femelles, pièce de grandes dimensions, se trouve toujours une seconde chambre. Une obscurité éternelle règne dans cette dernière salle : elle n'a pas de fenêtre ni de porte et son unique entrée n'est constituée que par un trou d'un archine carré (1) - cette chambre doit être le temple des Toddes, leur Sancta Sanctorum où des cérémonies mystérieuses ont lieu qui ne sont connues de personne. Ce trou lui-même n'est pratiqué que dans le coin le plus sombre. Pas une femme, pas un todde marié ne peut y pénétrer : en un mot, aucun kout ou personne qui appartienne à la classe laïque. Les terallis seuls, ou "prêtres officiants" ont libre accès dans le tiriri intérieur.

La construction elle-même s'entoure toujours d'une muraille de pierre assez haute, et la cour ou tou-el, au-dedans de ce mur, est considérée aussi comme sacrée. (2)

Helena Blavatsky décrit quelques pages plus loin la cérémonie de traite des buffles, une action réservée aux seuls initiés. 

Lorsqu'on a fini de traire tout le lait, les portes du tou-el sont fermées et les initiés entrent dans l'étable à buffles. Alors, selon les affirmations des Baddagues, la pièce contiguë à l'étable s'éclaire de beaucoup de petites lampes qui brûlent jusqu'au matin. Cette chambre est la demeure des seuls initiés. Personne ne sait ce qui s'accomplit dans ce sanctuaire secret jusqu'au jour, et il n'y a aucun espoir qu'on le sache jamais. (3)

Les Anglais pourtant, cherchèrent à pénétrer ce Saint des saints, sans y parvenir, n'obtenant que la protestation des Toddes :

- Nous avons vécu tranquilles sur ces montagnes durant cent quatre-vingt-dix-sept générations, et pas un de nous, sauf nos terallis, n'osa jamais franchir le seuil triplement sacré du tiriri. Les buffles rugissent de colère... interdisez aux frères blancs de s'approcher du tou-ael (barrière sainte) ; sinon il arrivera un malheur, un terrible malheur... (4)

Source : H. P. Blavatsky (1831-1891), aperçus biographiques, Textes Théosophiques, 1991
 

Le peuple todde présente encore beaucoup d'autres particularités, telle que la polyandrie, une femme pouvant avoir plusieurs époux. Blavatsky détaille encore ces curiosités :

Les Toddes se divisent en sept clans ou tribus. Chaque clan se compose de cent hommes et de vingt-quatre femmes. D'après ce que les Toddes disent eux-mêmes, ce nombre ne varie pas et ne peut changer ; il est resté éternellement le même depuis leur arrivée dans les montagnes. La statistique le démontre, en effet, pour le dernier demi-siècle. Les Anglais expliquent par la polyandrie cette constance dans le chiffre des naissances et des morts qui enferme les Toddes dans ce nombre séculaire de sept cents hommes : Les Toddes n'ont qu'une femme pour tous les frères d'une même famille, que ceux-ci soient même douze.

La notable minorité des enfants de sexe féminin dans les naissances annuelles était tout d'abord attribué au meurtre des nouveaux-nés assez répandu dans l'Inde. Mais ce fait ne fut jamais démontré. Malgré toutes les mesures prises et un espionnage inlassable, malgré toutes les récompenses promises pour toute dénonciation par les Anglais qui brûlaient, on ne sait pourquoi, du désir de saisir les Toddes en flagrant délit de crime - il a été impossible de constater le moindre cas d'assassinat d'enfant. Les Toddes n'ont qu'un sourire de mépris pour tous ces soupçons.

- Pourquoi tuer ces petites mères ? disent-ils. Si nous n'avions pas besoin d'elles, elles n'existeraient pas. Nous savons le nombre d'hommes,  le nombre de mères qu'il nous faut nous n'en aurons pas plus... (5)

Les buffles sacrés reviennent également, et curieusement, dans cette conception :

- Nos buffles, déclarent-ils souvent, ont fixé une fois pour toujours notre nombre ; celui des mères dépend aussi d'eux. (6)

Au pays des montagnes bleues a été publié il y a près de cent ans. Depuis, la civilisation a fait son oeuvre ; les Toddes, les Baddagues et les Kouroumbes ont perdu certaines de leurs particularités, et les témoignages consignés dans l'ouvrage de Blavatsky sont aujourd'hui indissociables de l'étude de ces peuples.

Ainsi, on ne saurait mettre en doute l'importance et la nécessité des livres et du support écrit, sans lesquels bon nombre de savoirs seraient irrémédiablement perdus.

(1) L'archine = 0 m 712 (note de Blavatsky).

(2) Au pays des montagnes bleues, Les Éditions du Monde Moderne, 1926, p. 158-159. 

(3) Op. cit., p. 173. 

(4) Op. cit., p. 164.

(5) Op. cit., p. 160-161. 

(6) Op. cit., p. 162.

vendredi 4 septembre 2020

Max Jacob, précurseur du surréalisme, et Poussin

Passé, présent et avenir... J'ai évoqué Poussin hier, je l'évoque aujourd'hui, je l'évoquerai demain...

Max Jacob, né quelque part le 12 juillet 1876, mort quelque part le 5 mars 1944... Précurseur du surréalisme, sans toutefois rejoindre le mouvement.

Adepte du vers libre, on trouve dans ses Derniers poèmes en vers et en prose publiés chez Gallimard en 1945 de pures pépites littéraires, tel ce petit texte page 108 de l'ouvrage, Métempsychose et souvenirs.

Depuis tant de siècles, moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées...

Il est vrai qu'on ne devrait montrer aucun sentiment en présence du roi Louis. L'allée d'arbres dignes du Poussin à Saint-Cloud peut-être ou ailleurs... Je revois les deux visages ennemis quand il m'arriva de casser une de ces porcelaines que l'on déposait entre les arbres du Poussin sur les talus de sa promenade parce qu'il les aimait. Il m'était interdit même d'avouer ma faute ou d'exprimer mon regret. Telle était la grandeur du roi que ce furent mes deux ennemis qui furent en disgrâce et non moi. On parle aujourd'hui de l'injustice des despotes et on ignore le secret de leurs affaires. Depuis tant de siècles moi qui vis plus souvent dans mes âmes passées, je me souviens mieux des figures de mes deux ennemis dans les arbres du Poussin que de celle du roi juste.

 

Max Jacob est né à Quimper, quelque part dans le temps, mort au camp de Drancy, quelque part dans les ans...

Et ament meminisse periti...